jeudi 10 juin 2010

Les roses de Bagatelle



Les roses de Bagatelle, Madeleine Chapsal

C'est le premier roman que je lis de cet auteur prolifique,
connue également comme journaliste et comme membre du jury du prix Femina dont elle a été exclue en 2005 pour avoir révélé que l'attribution de certains prix tiennent plus de la maison d'édition ou des amitiés avec l'auteur que des qualités de l'œuvre elle-même. Madeleine, filleule de la célèbre couturière Madeleine Vionnet, aime à briser certains tabous, notamment par le grand nombre de ses livres portant sur l'amour infidèle dont elle relate ses expériences personnelles mais aussi par ses "Conversations impudiques" partagées avec Édouard Servan-Schreiber, le fils de son ex-mari, sur le plaisir sexuel. Les deux auteurs y parlent de la sexualité en évoquant leurs expériences personnelles et en en faisant l'analyse technique, une mise à nu qui peut choquer tant l'impudeur y est poussée à son extrême.
Et dans Les roses de Bagatelle, l'on devine aisément la partie autobiographique de l'œuvre, conférant à cette histoire d'amour interdit (encore une) une véritable puissance. Partie autobiographique que renforce en outre la présence de lettres et de dessins de l'amant, émaillant le texte ci et là, donnant intensément vie à ces souvenirs d'une femme nostalgique.

L'histoire

Paris, années 50. Mathilde, illustratrice de livres pour enfants, passionnée de littérature, rencontre Léonard sur un bout de trottoir de Saint-Germain-des-Prés. C'est comme un coup de foudre. Ils échangent sur les livres qu'elle vient d'acheter à la libraire, il est éditeur, il l'invite à se revoir pour parler littérature, Nouveau-Roman. Il lui laisse un exemplaire d'un auteur encore inconnu, Samuel Beckett, et lui propose de déjeuner ensemble la semaine suivante pour avoir ses impressions. Elle accepte. Mais le temps entre eux est souffrance et il commence dès ce jour à lui écrire, lui téléphoner. Or, si Mathilde est libre, Léonard, lui est marié. Oubliant ses chaînes, Mathilde se jette à corps perdu dans cette passion qui les emporte et c'est cette sublime histoire d'amour, ses bonheurs quand ils s'en vont chaque jour durant dix ans se perdre dans la nature, ses déchirements de la savoir condamnée par avance puisque Léonard s'est promis de ne jamais quitter sa femme et ses enfants, que Madeleine Chapsal nous conte, si joliment. Vous me direz, pourquoi Les roses de Bagatelle ? Parce que chaque promenade les emmène dans une roseraie magnifique, à la recherche de a "rose bleue" symbole de cet amour improbable et pourtant éternel qui les lie.

L'appréciation

Un véritable coup de cœur. Je n'ai pratiquement pas décroché de ce livre deux jours durant. La plume de Madeleine Chapsal est légère, touchante de sincérité et de poésie, la narration à la première personne du singulier nous immerge totalement dans une intimité qui se livre, sans concession ni fausse pudeur. On tombe sous le charme de ce Léonard torturé par le passé, on le déteste, on l'aime, on le désire aussi. On espère jusqu'à la dernière page, la dernière ligne, le dernier mot que "l'éléphant" et le "kangourou" puissent s'accaparer enfin ce trésor qui leur a été offert. Et la fin nous réserve encore une belle surprise. Mais je ne vous en dirais pas plus, j'ai aimé ce livre, j'espère que si l'envie vous prend de le lire, vous l'aimerez aussi.

Petits plaisirs en bouche

"Qu'est-ce que cela signifiait ce "Je vous aime" qui n'était pas du tout son genre d'après ce que je savais, devinais de lui, mais lancé sans à-propos dans la conversation, comme un ovni ? A une personne qu'il connaissait à peine et avec laquelle il déjeunait pour la première fois ? Par la suite, il ne m'est jamais venu à l'idée de lui en parler. J'ai continué de faire comme si je n'avais rien entendu. Rien compris. Alors qu'il avait fait ce qu'il fallait, avec la précision d'un gladiateur qui manie la lance, pour me transpercer jusqu'au cœur. Car c'est ainsi que nous voulons être aimées nous les femmes, au premier regard et pour toujours. Le reste n'est que niaseries sentimentales, mômeries, fariboles... Le reste n'est que jeu de mains, jeu de vilain... Il n'y a que l'amour fou qui vaille. Verlaine, Rimbaud, Breton, Btaille, Eluard... Voici venu le jour en trop. Mon jour en trop était venu.... Le compte à rebours de cet étrange amour qui ne parviendrait ni à se vivre, ni à finir, venait de commencer."

"Toutes les phrases que je veux te dire, j'aurais envie de les commencer par : J'aime. J'aime ta façon de marcher, de regarder, de t'appuyer ; j'aime comme tu travailles, comme tu parles de ton travail ; j'aime l'odeur de tes cheveux à leur naissance, tu sais, là, en haut du front ; j'aime que tu sois toujours libre et toujours là, toujours là et toujours libre ; j'aime que tu saches si bien taper à la machine, faire la cuisine en parlant d'autre chose et en te promenant, j'aime les pièces de ton appartement qui sont chacune un aspect de toi [...] j'aime ta façon de parler, de ne pas parler, de toucher les choses, de penser, de danser, de skier, de toujours faire la chose juste au moment qu'il faut, ta façon d'être toi : j'aime ta façon d'avoir plaisir.
Mais assez parlé de moi.
Mais suis-je capable de parler d'autre chose ? (Bien sûr que non.)
L."

"En fait -et ce fut là notre paradis et notre erreur- nous ne désirions nous allier que dans le champ du rêve et de la liberté. Là où il n'y a ni obstacles ni entraves."

"J'emporte pour le train la Série noire que tu m'as passée, ce qui me permettra de penser à toi tout en pensant à autre chose - ou plutôt : tout en faisant semblant de penser à autre chose... Malgré tout, je préfère les wagons-lits de Paris-Nice aux secondes du Paris-Le Havre. Mais ce que j'aime par-dessus tout, d'avance, c'est le Nice-Paris qui te ramènera la semaine prochaine, Mathilde.
J'aime dire ton nom. Je ferme cette lettre pour ne rater ni le courrier, ni le train. La place qui reste, c'est pour te dire que je t'aime.
L."

"Car j'ai de poignants regrets : ceux de ne pas avoir été capable de m'en suffire, de cet amour tronqué, puis rêvé que j'ai vécu, mais d'autant plus absolu."

2 commentaires:

  1. Et bien, petit article mais grand coup de coeur, tu m'intrigues... je vais voir à trouver cette rose et partir à Bagatelle...

    (Enfin, me voilà à peine rentrée que je désire repartir ?)

    RépondreSupprimer
  2. Dur le retour de vacances ! ^^
    Je n'en ai pas encore lu d'autres d'elle mais ça m'a donné envie j'avoue.

    RépondreSupprimer