jeudi 15 avril 2010

Le Blouson Vert



Le Blouson Vert, Guy Abécassis

Je suis tombée sur ce roman lors d'une lubie qui me faisait prendre à la Bibliothèque Municipale tous les ouvrages rangés à la lettre A. Ne cherchez pas, je vis au rythme d'obsessions compulsives. Ainsi donc, cette lubie m'amena en 2007 à une perle rare, ce qui reste pour moi l'un des plus beaux livres lus à ce jour, un petit trésor tant par le sujet du livre que par son traitement, la virtuosité de l'écriture dont j'ai pu savourer chaque mot, chaque tournure de phrase avec un délice sensuel. Je pouvais lire une phrase 10 fois d'affilée, me la rengorgeant pour m'en approprier chacun de ses sujets, verbes, compléments, me délectant d'un adjectif comme l'on se gargarise d'un sirop au cassis (ouh le joli jeu de mot !), comme l'on fait rouler en sa bouche un bonbon acidulé. Ce roman est à consommer sans modération, je vous le présente donc.

Peu d'informations circulent sur cet auteur. L'on sait tout juste qu'il est né en 1927 à Paris et que ce roman qui raconte l'histoire d'un petit garçon juif errant entre la Capitale et le Midi a une part autobiographique. D'origine juive, il est marqué par l'Occupation allemande en 1940, l'exode qui coïncide avec la fin de son enfance. L'entrée dans la vie adolescente se fait en parallèle avec le port de l'étoile jaune. C'est avec son cœur et ses souvenirs qu'il nous décrit la vie de Dan.


Roman paru chez Alfil en 1996, il a été suivi en 2000 par le Voleur d'étoiles et a été récompensé par le prix Jeand'Heurs.



L'histoire

Dan vient d'avoir son certificat d'études, nous sommes en 1939 quand la guerre éclate. Titi qui adore sa vie et plus particulièrement le square de Montholon où il joue avec sa bande de copains, il est aussi d'origine algérienne juive par ses parents. Comme les autres enfants, Dan accueille avec joie l'entrée de la France en guerre jusqu'à ce que la "bataille d'Austerlitz devienne un cuisant Waterloo". Envoyé dans la campagne où il découvre les joies de la vie rurale, il est rappelé à Paris lorsque la menace allemande s'amenuise. Mais au printemps, il est soudain contraint à l'exode avec sa mère, sa sœur et son frère, son père ayant été blessé à la guerre...De fuite en refuge, de ville en ville, on traverse avec Dan ce pays coupé en deux, on découvre que la guerre n'est pas omniprésente et qu'une façon aussi de la combattre est de vivre malgré tout. Des premières amours aux Enfants du Paradis, de l'enfance insouciante aux premiers jours de travail, de résistance, on grandit avec Dan. Et puis vient le moment du retour à Paris, la tentative vaine de la compréhension. Comprendre ce qui a bien pu se passer, et chercher cette réponse terrifiante "Que sont ces êtres devenus ? "



L'appréciation


Un très bon livre qui ne tombe pas dans le pathos ou le purement historique. L'auteur réussit le pari de livrer ici une histoire qui se double de sa propre histoire sur fond d'Histoire. Autobiographie romancée sans doute, un chef-d'œuvre de la littérature de fin du XXème siècle, sûrement. Guy Abécassis manie la langue de Molière avec une aisance délectable.
Son écriture, où résonnent parfois les accents gouailleurs du Dan gavroche, s'enrichit de métaphores aussi jubilatoires que nombreuses. Les cyclistes deviennent sous le regard de Dan et la plume de Guy "les géants de la route en herbe, les diacre et archidiacre d'une église roulante, la procession, les seigneurs du Tour..." , le square de Montholon un fief, îlot de verdure perdu au milieu d'un océan de bitume. L'imagination libère le langage. Et quand les lois antisémites lui donnent l'impression de ne plus être humain, d'être avili à l'état d'animal, les mots l'accablent dans une gradation douloureuse "Mué au fil des décrets et des exclusions en vilain petit canard, puis en canard boiteux, l'ancien potache était devenu un mouton noir rejeté du troupeau et aujourd'hui une brebis galeuse".


Le style est fluide, le vocabulaire sonne à l'oreille, riche et puissant, les images foisonnent, le récit se lit d'une seule traite, tour à tour grave ou léger, démontrant que même dans le malheur il y a toujours une part de bonheur.
L'enfant nous séduit, l'écrivain nous séduit, le récit nous séduit, que demander de plus ?


Petits plaisirs en bouche


"Il était de Paname comme tous les gavroches, les moineaux ou les agents à pèlerine"

"Parisiens de fraîche date, ces provinciaux sentaient encore leur terroir et excitaient la verve du trio de gavroches dont ils ne possédaient ni la gouaille ni l'espièglerie"


"Dan raffolait de ces pérégrinations, au cours desquelles Paris lui entrait par tous les pores de la peau"

"Ces matelots de l'asphalte [...] naviguaient à l'estime [...] tout heureux de pouvoir enfin crier Terre devant leur square retrouvé"

2 commentaires:

  1. Les extraits me font sourire, j'ai l'impression d'entendre mes oncles ^^ Tu me disais retrouver dans mes textes ce sud, cet accent, ces mots qui chantent, j'avoue que je suis touchée par ceux que tu donnes en exemple ici...

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  2. Oui d'ailleurs grâce à toi j'ai découvert le sens du mot boulotter, j'aime beaucoup ^^ C'est vrai que je me suis régalée en lisant ce bouquin, et encore ce fut dur de choisir quelques extraits seulement !

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