mardi 20 juillet 2010

Une fois n'est pas coutume

Vacances obligent, je vais jouer la paresseuse et vous donner le lien de ce petit article que j'ai écrit sur un autre site pour évoquer des lectures que vous pourrez apprécier comme ce fut le cas pour moi.

Petite sélection estivale


Comme j'ai tendance à vivre dans le passé, c'est décidé je me mets aux livres de 2010 !

mercredi 7 juillet 2010

L'amant de la Chine du Nord




L'amant de la Chine du Nord
de Marguerite Duras

Un livre culte de ce grand auteur que fut Marguerite Duras. Je connaissais bien évidemment le film dont j'avais adoré la musique, mais ne m'étais encore jamais penchée sur le roman. J'avais beaucoup aimé Le barrage contre le pacifique, dévoré dans un trajet ferroviaire Tours-Lyon en 2006, son premier roman qu'elle composa en 1950 et dont je me dois de faire compte-rendu, plus tard...
Ici nous allons parler de l'Amand de la Chine du Nord, paru en 1991. Il faut savoir que ce roman est une réécriture de l'Amant, qui valut à Duras le prix Goncourt en 1984. Ce roman autobiographique fut adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud et c'est parce qu'elle renia cette adaptation "Rien ne m'attache au film, c'est un fantasme d'un nommé Annaud." qui avait réduit l'œuvre de bien des manières que Marguerite Duras s'empressa de le réécrire. Un autre évènement concomitant la poussa dans cette écriture et elle nous le livre dès les premières pages.
« J'ai appris qu'il était mort depuis des années. C'était en mai 90 (...). Je n'avais jamais pensé à sa mort. On m'a dit aussi qu'il était enterré à Sadec, que la maison bleue était toujours là, habitée par sa famille et des enfants. Qu'il avait été aimé à Sadec pour sa bonté, sa simplicité et qu'aussi il était devenu très religieux à la fin de sa vie.
J'ai abandonné le travail que j'étais en train de faire. J'ai écrit l'histoire de l'amant de la Chine du Nord et de l'enfant : elle n'était pas encore là dans L'Amant, le temps manquait autour d'eux. J'ai écrit ce livre dans le bonheur fou de l'écrire. Je suis restée un an dans ce roman, enfermée dans cette année-là de l'amour entre le Chinois et l'enfant.
Je ne suis pas allée au-delà du départ du paquebot de ligne, c'est-à-dire le départ de l'enfant. »


L'histoire

« L'histoire est déjà là, déjà inévitable, Celle d’un amour aveuglant, Toujours à venir, Jamais oublié. »

Quand l'enfant rencontre le chinois qui l'invite à profiter d'un voyage à bord de son auto, le désir qui naît de leur rencontre est palpable, irrésistible. Elle sait qu'elle le reverra. Un peu plus tard, elle reconnaît l'auto, la Léon Bollée, devant son collège. En dépit de leur différence d'âge, d'origine raciale, de niveau social, ils s'aiment à l'abri de sa garçonnière. Mais la douleur de ne pouvoir posséder l'autre plus que quelques instants les submerge. Quand l'Amant apprend que l'enfant rentrera bientôt en France, la souffrance l'emporte et annihile le désir même dans les nuages de l'opium. La douleur évoque même la possibilité de tuer l'autre mais l'Amant n'est au fond pas plus criminel que le grand frère qui violente l'enfant et le petit frère Paulo, tellement aimé, trop aimé. L'amour prend dans cette histoire souvenue et imaginée tous les visages. L'amour saphique avec Hélène, la camarade de la pension Lyautey, l'amour incestueux avec Paulo qui ira jusqu'à l'union charnelle, l'amour plus passionnel que maternel de la mère pour son fils aîné, l'amour de la fille pour sa mère qui accepte tacitement de se faire prostituer puisque l'Amant leur versera des sommes conséquentes jusqu'à leur départ de Saïgon, l'amour pour Thanh, le domestique recueilli orphelin par la mère, devenu presque un frère. Toutes ces passions impossibles gravitent autour de l'enfant et du Chinois, dans une atmosphère sensuelle et languissante, celle de l'Indochine des années 30. Le roman commence au son d'une musique, la Valse Désespérée et s'achève avec elle. Quand la mort frappe le bateau sur le chemin du retour, on se dit que c'est une image symbolique de cette "mort de l'âme" qui frappe l'enfant, de cette mort de l'histoire qui a fait naître en elle, la femme. Et puis, non. Des années après, il téléphone. Et la douleur est encore là, bien vivante.


L'appréciation

Un pur joyau que ce roman. Il brille par ce langage épuré, efficace, des mots uppercuts, des mots qui font mal. La douleur. Ce livre est douleur. Et Duras écrit pour ne pas l'oublier, au crépuscule de sa vie. Pour ne pas l'oublier lui le Chinois qui vient de mourir et qu'elle aima finalement toute sa vie, dans l'absence. L'écriture nous transporte, sans fausse pudeur, sans réserve aucune, dans une Indochine regrettée, qui exhale encore de suaves parfums de jasmin et d'opium, qui résonne des cris des enfants jouant sur les rives du Mékong et du martèlement de la mousson à l'entrée des maisons. La nostalgie nous prend aussi. On voit avec les yeux de Duras qui promène une caméra au-dessus de ses mots et livre d'ailleurs en annotations ses volontés de réalisatrice en cas de film. Duras s'installe ici comme spectatrice de cette histoire en flashbacks "Elle est devant nous. On voit toujours mal son visage dans la lumière jaune de la rue. Il semble cependant que oui, qu'elle soit très jeune. Une enfant peut-être. De race blanche." et c'est cette position rare pour un récit autobiographique qui donne toute la force au livre. La réalité est laissée de côté avec les noms des personnages pour laisser parler le souvenir vivace, l'inconscient, l'imagination au présent. On ne lit pas ce livre, on le regarde comme un film. Les mots sont images, les phrases des plans. La Valse désespérée résonne en nous comme la musique de Gabriel Yared et nous berce comme un bac sur le Mékong.

Petites mises en bouche

"Une rage prend l'enfant. Elle crie :
-Tu ne le sais pas, j'aime Paulo plus que tout au monde. Plus que toi. Que tout. Paulo, il vit dans la peur de toi et de Pierre depuis longtemps. C'est comme mon fiancé, Paulo, mon enfant, c'est le plus grand trésor pour moi...
-Je le sais.
L'enfant crie :
-Non. Tu sais pas. rien."

"Et puis, voici que sans le savoir tout à fait, elle la prend. Elle la regarde. Elle la tient comme un objet jamais vu encore d'aussi près : une main chinoise, d'homme chinois. C'est maigre ça, ça s'infléchit vers les ongles, un peu comme si c'était cassé, atteint d'adorable infirmité, ça a la grâce de l'aile d'un oiseau mort. [...] Elle retourne la main, très délicatement, elle regarde l'envers de cette main, l'intérieur, nu, elle touche la peau de soie recouverte d'une moiteur fraîche. Puis elle remet la chose à l'endroit comme elle était sur l'accoudoir. Elle la range. La main, docile, se laisse faire."

"Ils allaient se séparer. Elle se souvient combien c'était difficile, cruel, de parler. Les mots étaient introuvables tellement le désir était fort. Ils ne s'étaient plus regardés. Ils avaient évité leurs mains, leurs yeux. C'était lui qui avait imposé ce silence. Elle avait dit que ce silence, sa ponctuation même, sa distraction, ce jeu aussi, l'enfance de ce jeu et ses pleurs, tout ça aurait pu déjà fait dire qu'il s'agissait d'un amour."


"Hélène Lagonelle dit que le raffut qu'on entend ce sont les arroseuses municipales. Hélène Lagonelle dit que le parfum que l'on sent, c'est l'odeur des rues lavées qui arrive jusque dans les dortoirs de la pension. Elle réveille les autres qui hurlent de les laisser tranquilles. Hélène continue. Elle dit que l'odeur est si fraîche, c'est aussi le Mékong. Que cette pension, à la fin, elle devient comme leur maison natale."

"Elle devient objet à lui, à lui seul secrètement prostituée. Sans plus de nom. Livrée comme chose, chose par lui seul, volée. Par lui seul prise, utilisée, pénétrée. "

"Elle se retourne, se blottit contre lui. Il l'enlace. Il dit qu'elle est son enfant, sa soeur, son amour. Ils ne se sourient pas; il a éteint la lumière.
-Comment tu m'aurais tuée à Long Haï ? Dis-le moi encore.
- Comme un Chinois. Avec la cruauté en plus de la mort.
Elle récite la fin de la phrase comme elle ferait d'un poème."

"La musique avait envahi le paquebot arrêté, la mer, l'enfant, aussi bien l'enfant vivant qui jouait du piano que celui qui se tenait les yeux fermés, immobile, suspendu dans les eaux lourdes des zones profondes de la mer. "








jeudi 10 juin 2010

Les roses de Bagatelle



Les roses de Bagatelle, Madeleine Chapsal

C'est le premier roman que je lis de cet auteur prolifique,
connue également comme journaliste et comme membre du jury du prix Femina dont elle a été exclue en 2005 pour avoir révélé que l'attribution de certains prix tiennent plus de la maison d'édition ou des amitiés avec l'auteur que des qualités de l'œuvre elle-même. Madeleine, filleule de la célèbre couturière Madeleine Vionnet, aime à briser certains tabous, notamment par le grand nombre de ses livres portant sur l'amour infidèle dont elle relate ses expériences personnelles mais aussi par ses "Conversations impudiques" partagées avec Édouard Servan-Schreiber, le fils de son ex-mari, sur le plaisir sexuel. Les deux auteurs y parlent de la sexualité en évoquant leurs expériences personnelles et en en faisant l'analyse technique, une mise à nu qui peut choquer tant l'impudeur y est poussée à son extrême.
Et dans Les roses de Bagatelle, l'on devine aisément la partie autobiographique de l'œuvre, conférant à cette histoire d'amour interdit (encore une) une véritable puissance. Partie autobiographique que renforce en outre la présence de lettres et de dessins de l'amant, émaillant le texte ci et là, donnant intensément vie à ces souvenirs d'une femme nostalgique.

L'histoire

Paris, années 50. Mathilde, illustratrice de livres pour enfants, passionnée de littérature, rencontre Léonard sur un bout de trottoir de Saint-Germain-des-Prés. C'est comme un coup de foudre. Ils échangent sur les livres qu'elle vient d'acheter à la libraire, il est éditeur, il l'invite à se revoir pour parler littérature, Nouveau-Roman. Il lui laisse un exemplaire d'un auteur encore inconnu, Samuel Beckett, et lui propose de déjeuner ensemble la semaine suivante pour avoir ses impressions. Elle accepte. Mais le temps entre eux est souffrance et il commence dès ce jour à lui écrire, lui téléphoner. Or, si Mathilde est libre, Léonard, lui est marié. Oubliant ses chaînes, Mathilde se jette à corps perdu dans cette passion qui les emporte et c'est cette sublime histoire d'amour, ses bonheurs quand ils s'en vont chaque jour durant dix ans se perdre dans la nature, ses déchirements de la savoir condamnée par avance puisque Léonard s'est promis de ne jamais quitter sa femme et ses enfants, que Madeleine Chapsal nous conte, si joliment. Vous me direz, pourquoi Les roses de Bagatelle ? Parce que chaque promenade les emmène dans une roseraie magnifique, à la recherche de a "rose bleue" symbole de cet amour improbable et pourtant éternel qui les lie.

L'appréciation

Un véritable coup de cœur. Je n'ai pratiquement pas décroché de ce livre deux jours durant. La plume de Madeleine Chapsal est légère, touchante de sincérité et de poésie, la narration à la première personne du singulier nous immerge totalement dans une intimité qui se livre, sans concession ni fausse pudeur. On tombe sous le charme de ce Léonard torturé par le passé, on le déteste, on l'aime, on le désire aussi. On espère jusqu'à la dernière page, la dernière ligne, le dernier mot que "l'éléphant" et le "kangourou" puissent s'accaparer enfin ce trésor qui leur a été offert. Et la fin nous réserve encore une belle surprise. Mais je ne vous en dirais pas plus, j'ai aimé ce livre, j'espère que si l'envie vous prend de le lire, vous l'aimerez aussi.

Petits plaisirs en bouche

"Qu'est-ce que cela signifiait ce "Je vous aime" qui n'était pas du tout son genre d'après ce que je savais, devinais de lui, mais lancé sans à-propos dans la conversation, comme un ovni ? A une personne qu'il connaissait à peine et avec laquelle il déjeunait pour la première fois ? Par la suite, il ne m'est jamais venu à l'idée de lui en parler. J'ai continué de faire comme si je n'avais rien entendu. Rien compris. Alors qu'il avait fait ce qu'il fallait, avec la précision d'un gladiateur qui manie la lance, pour me transpercer jusqu'au cœur. Car c'est ainsi que nous voulons être aimées nous les femmes, au premier regard et pour toujours. Le reste n'est que niaseries sentimentales, mômeries, fariboles... Le reste n'est que jeu de mains, jeu de vilain... Il n'y a que l'amour fou qui vaille. Verlaine, Rimbaud, Breton, Btaille, Eluard... Voici venu le jour en trop. Mon jour en trop était venu.... Le compte à rebours de cet étrange amour qui ne parviendrait ni à se vivre, ni à finir, venait de commencer."

"Toutes les phrases que je veux te dire, j'aurais envie de les commencer par : J'aime. J'aime ta façon de marcher, de regarder, de t'appuyer ; j'aime comme tu travailles, comme tu parles de ton travail ; j'aime l'odeur de tes cheveux à leur naissance, tu sais, là, en haut du front ; j'aime que tu sois toujours libre et toujours là, toujours là et toujours libre ; j'aime que tu saches si bien taper à la machine, faire la cuisine en parlant d'autre chose et en te promenant, j'aime les pièces de ton appartement qui sont chacune un aspect de toi [...] j'aime ta façon de parler, de ne pas parler, de toucher les choses, de penser, de danser, de skier, de toujours faire la chose juste au moment qu'il faut, ta façon d'être toi : j'aime ta façon d'avoir plaisir.
Mais assez parlé de moi.
Mais suis-je capable de parler d'autre chose ? (Bien sûr que non.)
L."

"En fait -et ce fut là notre paradis et notre erreur- nous ne désirions nous allier que dans le champ du rêve et de la liberté. Là où il n'y a ni obstacles ni entraves."

"J'emporte pour le train la Série noire que tu m'as passée, ce qui me permettra de penser à toi tout en pensant à autre chose - ou plutôt : tout en faisant semblant de penser à autre chose... Malgré tout, je préfère les wagons-lits de Paris-Nice aux secondes du Paris-Le Havre. Mais ce que j'aime par-dessus tout, d'avance, c'est le Nice-Paris qui te ramènera la semaine prochaine, Mathilde.
J'aime dire ton nom. Je ferme cette lettre pour ne rater ni le courrier, ni le train. La place qui reste, c'est pour te dire que je t'aime.
L."

"Car j'ai de poignants regrets : ceux de ne pas avoir été capable de m'en suffire, de cet amour tronqué, puis rêvé que j'ai vécu, mais d'autant plus absolu."

Le lit d'Alienor


Le lit d'Aliénor, Mireille Calmel

J'ai bien pensé à toi en le lisant Nanet ! ^^
Un bon gros pavé que ce premier roman, plus de 500 pages, et malgré un début un peu difficile (finalement comme beaucoup de débuts) je me suis laissé embarquer par l'histoire. Lire un livre dont on a déjà beaucoup entendu parler n'est jamais évident. On s'est déjà fait une petite idée de ce qui nous attend. Lorsque je l'ai touché pour la première fois sur le chevet de ma maman il y a déjà un ou deux ans, j'ai été attirée par sa couverture moyenâgeuse, par ce nom qui me plaît tant, et je m'attendais il est vrai à quelque chose de beaucoup plus historique. Aussi, le début très immergé dans la féérie, m'a déroutée et il m'a fallu sauter quelques pages (notamment les allusions à Merlin) pour tomber à mon tour sous le charme. D'Aliénor. Car c'est ici pour moi la véritable héroïne de ce roman, Aliénor, et non celle dont j'ai déjà oublié le nom, ah voici, Loanna de Grimwald.

L'histoire

Loanna, descendante de Merlin l'Enchanteur, est envoyée auprès d'Aliénor d'Aquitaine en 1137 pour veiller sur elle et faire en sorte de faire d'elle la future reine d'Angleterre. De leurs 15 ans à leurs 30 ans, elles auront une relation tour à tour tendre et passionnée, entre trahisons, intrigues de cour, mariages royaux, croisades en Orient, sur fond de chants de troubadours, rien ne pourra vraiment les séparer. Reine de France, duchesse d'Aquitaine, reine d'Angleterre, le destin d'Aliénor est tout aussi tumultueux que celui de sa dame de compagnie, Loanna, coincée entre son amour pour Jaufré de Blaye, un troubadour en mal de vivre, et son devoir auprès d'Aliénor.
Le bien contre le mal, les sentiments contre la raison, cela semble être le cheval de bataille de Mireille Calmel.

L'appréciation

Comme je le disais, j'ai encore eu du mal à adhérer au merveilleux de l'histoire mais peut-être est-ce dû à mon attachement à l'historique. Cette idée qu'une femme héritière d'une fée ou d'un enchanteur de légende puisse sauver le monde en sacrifiant son destin m'exaspère un peu, je ne saurais dire pourquoi. De fait, je n'ai pas du tout été séduite par Loanna. Je l'ai trouvée agaçante, égoïste aussi, et cruelle lorsqu'elle interrompt la grossesse de son amie pour le bien de l'avenir. Certes, on pourra me répondre que cette héroïne n'incarne pas la perfection et qu'elle a sa part d'ombre, mais je trouve que Mireille Calmel se répète un peu dans ses livres. Le schéma reste le même : un monde féérique qui doit venir sauver un monde "réel", une héroïne sacrifiant l'amour pour le devoir, tiraillée entre le bien et le mal, une vision des choses manichéenne, des amours saphiques, un héros qui se meurt d'amour pour sa belle mais ne parvient pas à vaincre l'implacable destin...
Si on passe au-dessus de ça, je trouve l'écriture de Mireille Calmel éblouissante, j'aime la sonorité de ses mots, la couleur des phrases, les images qu'elle sait évoquer avec brio, sa verve tout simplement. Et c'est ce qui m'a fait avaler ses pages en moins d'une semaine.

Petits plaisirs en bouche

"Ce matin-là, 25 février 1137, comme tous les matins depuis une semaine, il y avait du brouillard, un brouillard qui ondulait à terre tel un serpentin vaporeux de mousseline. Les formes s'en trouvaient arrondies, fondues, dans une harmonie de gris perle et de bronze. La rivière à mes pieds glougloutait doucement, sertie dans son écrin de mousse et de bruyère. Et comme nulle part ailleurs, ici, à Brocéliande, en plein cœur de la Bretagne, le temps semblait suspendu. Là étaient mes racines, les toutes premières, celles du premier maillon de la chaîne de vie."

"Il pénétra dans la cour du monastère, laissa son cheval au frère Alburge qui l'accueillit, et, s'étant renseigné, se dirigea vers les jardins. Aliénor s'y promenait, qui échangeait, angélique, des propos anodins avec un moine. A sa vue elle ne montra aucune surprise ; pourtant, son regard pétillait de malice. Il se demanda, les doigts brûlants, qui du diable ou de Dieu hantait cette demeure."

"Mon cœur brûlait d'une infinie tendresse. Je lui pris la main et l'entraînai jusqu'au sommet de la falaise formée par les remparts. Le Bosphore à nos pieds ronronnait comme un jeune chat enveloppé de reflets d'argent et de pourpre. On eût dit une parure de pierres précieuses. Je m'assis, les bras ballants, sur le parapet, il entoura mes épaules de son bras. J'étais lasse."

lundi 10 mai 2010

Etranger à Berlin

Étranger à Berlin, Paul Doswell

Ce sont les mots du titre autant que la couverture qui ont capturé mon regard ici. Mon prochain manuscrit, dont je travaille en ce moment le plan, se passe sous la seconde guerre mondiale, en Allemagne, j'ai donc été attirée naturellement par ce roman. Sur le quatrième de couverture il est écrit "roman d'aventures" mais j'avoue l'avoir lu plutôt comme un reportage de guerre, un document nous livrant des informations plus ou moins connues autour d'un sujet beaucoup traité : le nazisme et ses conséquences.

En me renseignant sur l'auteur que je ne connaissais pas, mon impression à la lecture du livre a été confirmée. Cet auteur, d'abord éditeur, anglais est surtout spécialisé dans les livres pour enfants et les livres d'informations. Cette fiction historique plaira donc aux jeunes adolescents ou aux gens qui comme moi cherchent à étoffer leurs connaissances sur une époque, un évènement.

Je dois le dire, il m'a quand même manqué ce souffle, cette introspection des sentiments plus poussée que je cherche généralement dans un roman. J'ai néanmoins dévoré les 423 pages en 2 jours, ça se lit bien et vite.

L'histoire

Piotr a 13 ans quand on le remarque dans un orphelinat de Varsovie, en 1941. Il a le profil aryen, des parents aux racines allemandes, qui font de lui un être à qui, dans son malheur, sourit la chance, et c'est rare, très rare. Piotr est un enfant qui tente de ne pas trop se poser de questions et qui accueille avec plaisir la nouvelle de son adoption en Allemagne, par un haut dignitaire nazi. Il se retrouve ainsi dans une famille bien nantie, avec 3 "sœurs" et des parents pour le nourrir, blanchir, choyer même. Il fait fi de ceux qui l'appellent le Ausländer et suit avec application ses cours à l'école berlinoise, se faisant désormais appeler Peter. Surtout, il prend part aux réunions de la Hitlerjugend, section pour les jeunes allemands qui assure l'endoctrinement nazi avant l'âge requis pour l'enrôlement dans l'armée. Il y formule ses premiers doutes intérieurs, y fait ses premières rencontres, notamment Lena dont il s'éprend aussitôt. Avec elle, il découvre l'autre face de l'Allemagne, celle qui résiste, celle qui s'interroge, celle qui se bat. Le temps est venu de l'engagement, loin de celui qu'il imaginait parmi les pilotes de l'élite à la Luftwaffe, de laisser parler sa conscience au risque de sa vie.

L'appréciation

Comme je le disais, je n'ai pas été transportée par l'écriture romanesque de l'auteur mais j'ai apprécié la richesse d'informations qui se dégage de ce roman. Au-delà des aventures des protagonistes ou de l'histoire sentimentale à peine effleurée des deux héros, on découvre une autre facette de l'Allemagne. La résistance intra-muros est, il me semble, un sujet peu abordé quand on évoque l'Allemagne nazie. On est aussi confronté à la question de l'engagement : pourquoi prendre des risques quand on a la chance de pouvoir s'en sortir ? Peut-on vivre en tentant de faire taire sa conscience ? Est-on capable d'assumer réellement, par ses actes, ses opinions, ses croyances aussi profondes soient-elles ? De véritables questions qui touchent autant les adolescents que les adultes et qui se voient ici parfaitement traitées, sans idéalisation aucune. Piotr/Peter au fond c'est n'importe lequel d'entre nous et il n'y a finalement qu'un pas entre la passivité et le passage à l'action. Il ne tient qu'à nous de le franchir, ou pas...

Petits plaisirs en bouche

"Il se voyait déjà survolant les steppes enneigées de Russie à basse altitude pour détruire une formation de tanks soviétiques. Pilote de chasse, cela avait quelque chose de séduisant et de prestigieux. On vivait confortablement dans des bases aériennes situées à bonne distance du front ; on se voyait confier les appareils les plus avancés au monde sur le plan technologique... et on s'élevait dans les airs tel un grand oiseau de proie."

"Fasciné, Peter contempla un piano à queue en flammes au beau milieu de la chaussée. A mesure que le feu dévorait le coffre en bois noir laqué, les cordes torturées grondaient et claquaient une par une, des plus aiguës aux plus graves."

"Le soleil d'août et l'air salé du grand large lui rappelaient d'autres temps, des jours heureux et insouciants. Il aurait aimé redevenir un petit garçon de huit ans en vacances à Dabki, en Plogne, au bord de la mer Baltique, sur une plage de sable doré s'étirant à l'infini. "

mardi 4 mai 2010

La Dame aux Camélias

La Dame aux Camélias, Alexandre Dumas fils

Ce n'est pas la couverture que j'ai sous les yeux mais bon, on fera avec. Même si je trouve que l'utilisation de la lithographie de Garnier d'après la peinture de Court "la reine du bal" sur l'ouvrage édité par Gallimard en collection folio est bien plus ressemblante à la description que Dumas fils fait de Marguerite Gautier, alias Marie Duplessis.

Voici d'ailleurs le portrait de la courtisane qui inspira tant Dumas fils.
Car nul ignore que l'œuvre qui fit le succès du fils de Dumas est
tirée de son vécu.
"Mon avis est qu'on ne peut créer des personnages que lorsque l'on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une langue qu'à la condition de l'avoir sérieusement apprise. N'ayant pas encore l'âge où l'on invente, je me contente de raconter."

Il a 18 ans, en 1842, quand il rencontre place de la Bourse une belle inconnue vêtue de mousseline blanche, coiffée d'un chapeau de paille d'Italie, c'est le coup de foudre, elle s'appelle Marie Duplessis. Née dans un milieu pauvre, sa rencontre avec un riche commerçant alors qu'elle est chapelière fait d'elle une courtisane que bientôt le Tout-Paris s'arrachera.

Sa vivacité d'esprit, sa beauté particulière : elle était « grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage, elle avait la tête petite, de longs yeux d’émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde » fera d'elle la courtisane de Dumas fils de 1844 à 1845, puis de Franz Liszt, entre autres, elle épousera même le comte de Perrégaux secrètement à Londres mais ne parviendra jamais à quitter sa vie dissipée et orgiaque.
Elle décède des suites d'une phtisie à 23 ans.


L'œuvre de Dumas fils qui suscitera bien des réactions passionnées, que ce soit en bien ou en mal, sera adaptée au théâtre dès 1852. Son rôle fut joué notamment par la grande Sarah Bernhardt.

L'histoire

Le narrateur raconte comment lors d'une mise aux enchères il est mis en relation avec un exemplaire de Manon Lescaut dont la dédicace "Manon à Marguerite, Humilité" le poussera à l'onéreuse acquisition. Quelques jours plus tard, un certain Armand Duval se présente à lui. L'homme a pâle mine et revient d'un voyage aux Orients. Il souhaite lui racheter le livre qu'il avait offert à Marguerite pour garder un souvenir d'elle. Le narrateur, frappé par son chagrin, lui propose de se revoir. Et c'est ainsi qu'Armand lui raconte l'histoire de sa vie, le formidable amour qui l'a lié à la belle courtisane malgré des débuts difficiles; leur espoir de vivre ensemble, heureux, compromis par la jalousie d'Armand, les dettes de Marguerite et surtout le jugement du Monde.

L'appréciation

Un très beau livre, avec des phrases percutantes, que l'on se plaît à relire plusieurs fois. Le sujet est certes désuet puisque le monde des courtisanes et l'implacabilité de l'opinion publique n'ont plus de place dans notre société actuelle mais l'histoire d'amour, elle, est atemporelle. Quelques longueurs parfois dans certains dialogues, des déclarations qui s'étalent sur plusieurs pages (notamment celles de la voix publique qui condamne l'amour des héros) mais qui n'entachent en rien le plaisir que j'ai eu à lire ce livre.
Je vous le recommande donc. ;)

Petits plaisirs en bouche

"Sans que je susse pourquoi, je devenais pâle et mon cœur battait violemment. J'ai un de mes amis qui s'occupe de sciences occultes, et qui appellerait ce que j'éprouvais l'affinité des fluides ; moi, je crois tout simplement que j'étais destiné à devenir amoureux de Marguerite, et que je le pressentais."

"Je me rappelais cette étude, et moi qui aurais voulu souffrir pour cette femme, je craignais qu'elle ne m'acceptât trop vite et ne me donnât trop promptement un amour que j'eusse voulu payer d'une longue attente ou d'un grand sacrifice. Nous sommes ainsi, nous autres hommes ; et il est bien heureux que l'imagination laisse cette poésie aux sens, et que les désirs du corps fassent cette concession aux rêves de l'âme."

"Je ne disais rien, mon âme semblait être passée toute dans mon cœur et mon cœur dans mes yeux."

"Un mois d'un amour comme celui-là et de corps comme de cœur, on ne serait plus qu'un cadavre."

jeudi 29 avril 2010

Le Chant des sorcières

Le Chant des sorcières, Mireille Calmel

C'est la couverture qui m'a menée à ce livre, paradant sur l'un des présentoirs qui siègent fièrement devant les rayonnages des bibliothèques. J'ai aimé l'image de cette femme se penchant avec compassion vers le preux chevalier, l'éclat ambré de sa robe, j'ai aimé le titre aussi. A la hâte, j'ai enfourné le bouquin dans mon sac et l'ai ramené à la maison, l'oubliant pour un autre que je n'ai finalement pas fini. Et puis, alors que je cherchais de quoi m'évader l'esprit, je suis retombée dessus. Et j'ai commencé à déchiffrer la première page, la seconde, la troisième. Je ne l'ai pas quitté d'un long moment, me plongeant avec volupté dans ce temps reculé, dans ces personnages hauts en couleurs, dans cette histoire féérique, c'est le mot.

J'ai été déroutée de prime abord par le merveilleux qui suintait derrière l'historique, j'ai appréhendé le personnage de Mélusine avec circonspection, et puis je me suis laissé emporter, à l'image de cette rivière du Vercors, passionnément. J'ai dévoré les chapitres, que ce soit dans l'écrin velouté de la nuit ou sous les rayons d'un soleil au zénith, oubliant le monde alentours pour celui, énigmatique et ensorcelant, des héros de Calmel.

Si vous souhaitez connaître intimement cet auteur de talent, rien ne sera plus éloquent que le récit qu'elle fait de sa vie "à livre ouvert" dans son blog, de son enfance malade à a renaissance en tant qu'écrivain et mère comblée. En la lisant, je me suis d'ailleurs beaucoup retrouvée dans ses mots, comme beaucoup d'autres sûrement...
La jeune femme, originaire de Provence, a livré bien des combats contre la mort avant de pouvoir trouver son lectorat. Tenace et courageuse, à l'image de ses héroïnes entières, elle conjugue des talents de chanteuse, d'auteur de théâtre et de comédienne tout en s'adonnant à des recherches historiques qui la conduiront au Lit d'Aliénor en 2001. Ses romans historiques mâtinés de fantastique sont tous des succès : Le Lit d'Aliénor, Le Bal des Louves, Lady Pirate (en coursde lecture), La Reine de Lumière qui fait suite au cycle du Chant des sorcières, encore de la lecture en perspective !

Mais venons en à ce qui nous intéresse...

L'histoire

Nous sommes en 1483 dans le Vercors. Le château des Sassenage dresse ses tours orgueilleuses dans un paysage fait de rocs et de verdures, au-dessus d'un torrent qui fera sombrer Algonde, la fille de l'intendante du château, dans un autre monde, un monde fait de légendes anciennes, si anciennes qu'elles effleurent la naissance de la civilisation.Il est question d'une prophétie qui concerne Algonde et l'enfant qu'elle mettra au monde. Mais dans ce qu'elle doit accomplir d'après la fée Mélusine nulle place pour Matthieu, le fils du panetier qu'elle aime depuis l'enfance. Nulle place pour le bonheur. Dans son abnégation, la jeune fille verra son destin relié à celui d'Hélène de Sassenage, fille du baron, qui lui fera connaître d'autres plaisirs, d'autres passions. Et puis, il y a ces fioles en formes de pyramides, ces trois fioles pour lesquelles les secrets se nouent, se brisent, faisant jouer les personnages d'un tableau à un autre, par delà les frontières, et les temps. Il y a aussi ce prince turc libre et captif à la fois, source et objet de désir, point de liaison entre deux mondes, deux cultures, deux religions.[ A savoir, le prince Djem a bel et bien existé ainsi que sa romance avec Hélène de Sassenage]. Il y a ce bien et ce mal qui s'affrontent sans cesse, jusqu'à se mêler parfois in utero, sous le regard acéré de la Harpie, sous celui amusé d'un destin qui aime à malmener dans ses pièges les âmes faussement tranquilles.


L'appréciation

Il faut se départir de tous ses dogmes pour entrer pleinement dans cette histoire. Mais une fois les armes déposées, une fois tous les possibles acceptés, la magie opère et nous promène de rebondissement en rebondissement sans lâcher prise. Il faut aussi savoir être patient pour comprendre certains éléments dont les morceaux sont distillés en parcimonie, le nœud de l'intrigue principale se payant même le luxe de n'apparaître que dans le tome 2. Enfin, il faut savoir jongler d'un personnage à un autre, sans chercher à comprendre ce qui peut bien les relier, du moins pas encore. Les morceaux du puzzle se mettent en place lentement, peut-être même trop lentement, c'est le seul reproche que je formulerai, mais la patience n'étant pas mon fort, cela pourra vous paraître une qualité, qui sait.
Quant à l'écriture, féérique. Les mots nous emportent, roulent comme les galets de la rivière en temps d'orage, se heurtent, se lient, et nous enlacent le cou comme autant de colliers précieux. Mireille Calmel n'écrit pas, elle chante, avec sa voix de soprano, et nous ensorcelle. Scandaleusement. On voudrait tout savoir, tout comprendre, tout maîtriser, et au final elle nous manipule comme un vulgaire pantin de la Harpie, pour mieux nous époustoufler, nous surprendre, nous dérouter. Bref, vivement la suite !